Sexe et Genre dans « La Curée », d’Emile Zola Sexualité et moralité sous le Second Empire
Émile Zola - Grand Ecrivain (1840-1902)
Illustre écrivain engagé et naturaliste, journaliste aguerri, Emile Zola fut un génie littéraire qui laissa une empreinte profonde dans ...
D’Emile Zola, on connaît surtout, en général, Germinal et L’Assommoir., que les enseignants donnent souvent à étudier. Un roman comme La Curée, le deuxième du cycle des Rougon-Macquart, est fort intéressant lui aussi, notamment en ce qui concerne les idées de l’auteur, et donc du XIXe siècle, sur la sexualité.
Les noces d’Eros et de Plutus
La sexualité est omniprésente dans La Curée. Le roman se déroule dans les premières années du Second Empire, au moment où le régime triomphant s’adonne sans frein à l’affairisme, à la spéculation et à la corruption qu’incarne le financier Saccard, dont le nom semble faire sonner les sacs et les pièces d’or. Les mariages sont organisés, généralement par les pères, pour régler des embarras d’argent ou rapprocher les fortunes ; les femmes couchent à droite ou à gauche pour l’avancement de leurs maris ; les courtisanes se vendent au plus offrant ; c’est leur métier, bien entendu, mais le problème, c’est qu’elles sont, avec les spéculateurs, les figures emblématiques, les divinités tutélaires du régime. Ce ne sont pas les noces d’Eros et de Thanatos, mais d’Eros et de Plutus, dieu de la fortune. Et sur tout cela, règne un empereur libidineux, que Zola fait apparaître, aux Tuileries, avachi, empâté, se traînant, au bras d’un vieux général, entre deux rangées de courtisans inclinés, en lorgnant vers les décolletés des femmes.
Les ambiguïtés de Maxime.
Ainsi la dictature impériale est-elle associée intimement à la sexualité, mais à une sexualité pervertie, malsaine, corrompue, maudite. Et sachant que le summum de la sexualité maudite, au XIXe siècle, est l’homosexualité masculine, on devine que Zola aurait bien aimé placer, au centre de son récit, un couple d’hommes, et que seules les convenances littéraires de l’époque l’en ont retenu. Il se rabat, en quelque sorte, sur un couple incestueux, celui que forment Renée, l’épouse de Saccard, et le fils que celui-ci a eu de sa première épouse, Maxime. Les prénoms, d’ailleurs, sauf une voyelle muette, pourraient être ceux de deux hommes. L’homosexualité refoulée fait retour, à travers le thème de l’androgynie de Maxime. Il nous est clairement dit que Maxime a eu des expériences homosexuelles au collège ; il en est resté « frappé dans sa virilité » ; c’est un « garçon-fille », et, dans sa relation avec Renée, les rôles masculin et féminin sont inversés. C’est Renée qui « possède » Maxime, non l’inverse ; elle est l’élément actif et dominant, lui n’est que joliesse, soumission et passivité ; et l’on peut conclure qu’il se donnerait à un homme aussi facilement qu’il se donne à Renée.
Les amitiés honteuses.
Pour mieux souligner ce thème, ce couple principal est flanqué, d’une part d’un couple de lesbiennes, d’autre part d’un homosexuel masculin. Ce dernier, le majordome Baptiste, vit sa sexualité dans la clandestinité selon les normes de l’époque. L’auteur ne l’évoque d’abord, comme il convient, que par sous-entendus et allusions ; il nous confie que, lors des réceptions, Baptiste reste de marbre, face aux belles poitrines des invitées, qu’exhibent les décolletés du temps ; qu’après son service, il se dirige furtivement vers les écuries, où dorment les palefreniers ; fait-il seulement « sa ronde », comme le croit Renée ? A la fin du roman, un garçon d’écurie le dénonce. Saccard, pourtant vivant symbole de l’amoralité et de l’immoralité du régime, le congédie sur l’heure, ce que Zola ne semble pas désapprouver. En regard, deux femmes mariées, Suzanne Haffner et la marquise d’Espanet, entretiennent une relation amoureuse que l’auteur appelle une « amitié honteuse ». Contrairement à Baptiste, elles n’ont pas besoin de se cacher. Elles peuvent la vivre au grand jour, roucoulant au bois de Boulogne sur les coussins de leur victoria, dansant l’une avec l’autre dans les réceptions. Leurs maris ne se croient pas tenus d’en prendre ombrage, comme ils le feraient dans le cas d’un adultère masculin. Leurs amours suscitent des commérages et des allusions plus ou moins venimeuses, mais pas de véritable scandale ; elles continuent d’être reçues partout, ce qui ne serait pas le cas dans cette société pour un homme ouvertement homosexuel, même appartenant à l’aristocratie.
Baptiste, Suzanne et la marquise, Maxime et Renée : ces figures « monstrueuses », dixit Zola,,sont chargées par lui, autant ou même plus encore que les politiciens et financires corrompus, d’illustrer toutes les tares de la dictature impériale. Le progressisme, chez Zola, comme chez la plupart des républicains et socialistes de l’époque, ne va pas jusqu’a concevoir que les homosexuels pourraient avoir des droits, que la répression qui les frappe pourrait n’être pas tout à fait légitime. Et le courageux défenseur de Dreyfus, lorsqu’un homosexuel fera appel à lui et lui adressera un poignant témoignage autobiographique, rangera prudemment le texte dans un tiroir.